Note de synthèse de l'OIT n°2 sur le programme de développement pour l’après-2015

Emploi et moyens de subsistance: Comment fixer des objectifs et suivre les progrès réalisés

[Versions arabe, chinoise et russe disponibles prochainement]
Les premiers résultats des consultations lancées par l’Organisation des Nations Unies sur les objectifs de développement de l’après-2015 montrent que, dans la grande majorité des pays, la création d’emplois s’impose comme une nécessité urgente et une priorité fondamentale et qu’elle restera un défi majeur bien au-delà de 2015. De l’Albanie à la Bolivie, de l’Ouganda au Viet Nam et partout ailleurs, les participants à ces consultations menées dans le cadre de réunions nationales ou d’entretiens en ligne ont exprimé leur préoccupation face à la pénurie d’emplois. Beaucoup ont de surcroît insisté sur la nécessité d’améliorer la protection sociale, en particulier dans les secteurs informel et non organisé et dans les zones d’insécurité économique et sociale. (Cf. The global conversation begins: Emerging views for a new development agenda, UNDG, 2013.)

Ces inquiétudes trouvent un écho auprès des décideurs de tous les pays et de toutes les régions. Dans le monde en développement, l’amélioration de l’emploi et des moyens de subsistance est indispensable pour éradiquer la pauvreté et créer un cercle vertueux de croissance économique élargie et partagée. Dans le monde arabe, les événements de ces dernières années ont clairement fait apparaître qu’il est possible à un pays de se classer parmi les plus performants pour ce qui est des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) dans les domaines de la santé et de l’éducation, tout en ayant un marché du travail en difficulté avec, pour conséquence, des troubles sociaux et politiques. Dans le monde développé, plusieurs pays sont confrontés à un niveau de chômage sans précédent, qui touche en particulier les jeunes et dont les séquelles continueront de se faire sentir pendant de nombreuses années. Partout dans le monde, la question de l’emploi s’impose de manière pressante. Le cadre de développement futur ne saurait négliger cette réalité s’il doit rester pertinent pour les citoyens du monde. Cet aspect du développement n’a pas été pleinement pris en considération dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
(L’objectif du plein emploi productif et du travail décent a été ajouté en 2007 parmi les cibles du premier des OMD, avec un ensemble de quatre indicateurs de base (Cf. Guide to the Millennium Development Goals Employment Indicators, seconde édition, OIT 2013), mais il n’a pas beaucoup retenu l’attention des donateurs ni des pays bénéficiaires.)

Dans une précédente note (publiée en novembre 2012), l'OIT explique pourquoi il faut axer le programme de l’après-2015 sur l’emploi et les moyens de subsistance, en mettant en évidence les politiques à appliquer en conséquence et en proposant que le plein emploi productif et le travail décent pour tous – y compris la mise en place de socles de protection sociale – soient des objectifs explicites du programme mondial de développement pour l’après-2015.

La présente note a pour but de lancer le débat sur la façon dont un objectif de développement lié à l’emploi pourrait être défini en termes de cibles et d’indicateurs des progrès réalisés au niveau national. Après avoir déterminé l’ampleur approximative du défi de l’emploi à l’horizon 2030, date de fin probable du prochain cadre de développement, elle montre que la quantité et la qualité des emplois et des moyens de subsistance sont des critères déterminants pour évaluer si la croissance économique se traduit par un développement durable au bénéfice de tous. Elle examine les cibles possibles et analyse les indicateurs statistiques qui existent déjà, ou qui pourraient être élaborés, pour suivre les progrès accomplis et orienter les politiques. Enfin, elle préconise des initiatives visant à faire participer les acteurs nationaux à l’élaboration des politiques et à améliorer la qualité de l’information statistique.

Les idées exprimées dans la présente note de synthèse ne doivent pas être comprises comme étant des propositions mais plutôt des voies possibles; le but est de provoquer un débat.

L’ampleur du défi

En se basant sur les estimations démographiques actuelles des Nations Unies, l'OIT prévoit qu’en 2020 la population économiquement active (âgée de 15 ans et plus) du monde comptera 3,6 milliards de personnes pour un taux de participation au marché du travail d’environ 63,5 pour cent. Cette population active mondiale se composera de 2,2 milliards d’hommes, en supposant un taux de participation des hommes d’environ 77 pour cent, et de 1,4 milliard de femmes, en supposant un taux de participation des femmes d’environ 50 pour cent.

A l’heure actuelle, la population active mondiale augmente de plus de 40 millions de personnes par année. Ce chiffre diminue progressivement, si bien qu’en 2020 il sera d’environ 37 millions. Si l’on se projette en 2030, l’augmentation annuelle devrait être d’environ 31 millions de personnes. Compte tenu de cette croissance, il faudra créer environ 470 millions de nouveaux emplois pendant la période de quinze ans, allant de 2016 à 2030. Si les taux de participation devaient s’améliorer, en raison par exemple d’une augmentation de celui des femmes, il faudrait créer davantage d’emplois.

Depuis le début de la crise, le chômage touche 28 millions de personnes supplémentaires dans le monde, et la baisse des taux de participation laisse supposer que 39 millions de personnes supplémentaires ont abandonné leur recherche d’emploi. Depuis 2007, un déficit mondial de 67 millions d’emplois s’est créé et il faut aussi en tenir compte.

Le défi de l’emploi varie d’une région à l’autre et d’un pays à l’autre, ce qui s’explique en partie par des différences dans la dynamique des populations. Les pays les moins avancés, par exemple, ont les taux de croissance démographique les plus élevés de la planète puisqu’ils sont trois fois supérieurs à ceux des autres pays en développement. Leur population, dont 60 pour cent environ a maintenant moins de 25 ans, devrait doubler pour atteindre 1,67 milliard au cours des 40 prochaines années. Le défi que représente la création d’emplois n’en sera que plus ardu dans ces pays et il risque aussi d’alimenter des flux migratoires de main-d’œuvre déjà élevés aux niveaux national et international.

Au-delà du nombre d’emplois supplémentaires qui sera nécessaire, il faut s’intéresser d’urgence à la qualité des emplois. Environ 870 millions de travailleurs et de travailleuses ne gagnent pas assez pour qu’eux-mêmes et leurs familles s’élèvent au-dessus du seuil de pauvreté de 2 dollars par jour. Pour répondre aux besoins mondiaux de travail décent, il faudra s’engager fermement à créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité.

Amélioration des emplois et des moyens de subsistance: Objectif et moyens d’y parvenir

Le plein emploi productif et le travail décent pour tous sont-ils un objectif en soi ou font-ils partie du processus de développement durable? On peut à coup sûr répondre par l’affirmative à ces deux questions, aussi bien dans la perspective de l’économie dans son ensemble que dans celle des ménages.

Au fur et à mesure que les pays se développent, les marchés du travail, l’emploi et les sources de revenus évoluent. Cette évolution a une incidence sur l’ampleur de la réduction de la pauvreté et sur la vitesse à laquelle cette réduction s’effectue ainsi que sur le caractère équitable ou non, et durable ou non, de la croissance. Parmi les modifications les plus radicales qu’entraîne le développement, il y a là transformation de la structure de la production et de l’emploi. Dans les économies peu développées, la plupart des gens vivent et travaillent dans des zones rurales où l’agriculture est la principale source de revenus. La dimension et la productivité des terres agricoles et de l’unité de travail sont généralement trop faibles pour procurer des revenus adéquats. Au fur et à mesure que le développement prend racine, l’agriculture devient plus productive et les secteurs de la fabrication et des services prennent de l’ampleur. On voit se multiplier les contrats en bonne et due forme, bien que le travail informel reste généralement important dans les services et le commerce à petite échelle, même lorsque le processus de développement est déjà bien entamé. Le déplacement de la main-d’œuvre d’un secteur à un autre peut apporter une amélioration non négligeable du niveau de productivité général et favoriser une augmentation des revenus. L’augmentation de la productivité de l’agriculture peut, pour sa part, apporter des avantages considérables en matière de développement.

Au niveau des ménages, un emploi stable et bien rémunéré ne constitue pas seulement le meilleur moyen de sortir de la pauvreté; il peut aussi transformer la vie des pauvres. L’assurance d’un revenu stable et prévisible pour l’un au moins des membres du ménage permet à celui-ci de planifier l’avenir, d’investir dans l’éducation des enfants, d’avoir accès à des services de santé et au crédit, et permet même à d’autres membres du ménage de créer et de développer une entreprise. (Cf. “Reluctant Entrepreneurs”, Ch. 9, Banerjee and Duflo, 2011.)

Mesure des progrès accomplis

La hausse du revenu moyen par habitant sert souvent à définir le niveau de développement. Toutefois, le degré de pauvreté peut varier considérablement entre des pays dont les niveaux de revenu moyen sont semblables. L’évolution de la structure et des modalités de l’emploi détermine largement la mesure dans laquelle la croissance est favorable aux pauvres et s’inscrit dans la durée. Les informations sur le marché du travail permettent de quantifier l’orientation et le rythme de ces évolutions caractéristiques du processus de développement.

Toutefois, des obstacles se présentent lorsqu’il s’agit de définir une série parcimonieuse d’indicateurs permettant de suivre les progrès réalisés. Dans les pays les plus pauvres, il y a une pénurie globale de statistiques fiables. Dans de nombreux pays en développement, les statistiques disponibles ne tiennent pas pleinement compte des particularités de marchés du travail, qui se distinguent par leur caractère largement informel et par une main-d’œuvre excédentaire œuvrant dans des secteurs d’activités traditionnels. Les taux de chômage qui, dans les pays développés, constituent des indicateurs précis de la santé du marché du travail à un moment donné sont beaucoup moins utiles dans la plupart des pays en développement. (Plus qu’une pénurie d’emplois dans l’économie tout entière, le taux de chômage d’un pays en développement peut refléter la situation des travailleurs urbains instruits de la classe moyenne ou la réduction naturelle de l’effectif des travailleurs occupant des emplois de courte durée ( Cf. How not to count the employed in developing countries, Majid, 2013). Toutefois, des taux de chômage élevés peuvent être le signe d’un marché du travail sinistré dans certains pays à revenu intermédiaire, notamment en Afrique du Nord, ou dans des pays ayant de fortes proportions de travailleurs occasionnels, démunis, le plus souvent agricoles.

Le taux de chômage du Népal, par exemple, est d’environ 2 pour cent contre 3 pour cent en Suisse, bien que ces deux pays soient situés aux deux extrêmes du développement. Un éventail plus large d’ indicateurs directs et indirects est nécessaire. (Dans quelques pays pour lesquels des données sont disponibles, des taux de chômage «élargi» tenant compte de l’ensemble des travailleurs découragés peuvent être calculés. Ces taux reflètent un peu mieux l’ampleur du choc subi par le marché du travail d’un pays donné. Leur degré de signification varie selon le pays. En 2008, par exemple, le taux de chômage élargi du Mexique était de 15,6 pour cent et celui du Brésil était de 12,6 pour cent, alors que les taux de chômage déclaré étaient, respectivement, de 5,1 pour cent et 9,0 pour cent, tandis qu’en Allemagne, en France et au Royaume-Uni la différence était inférieure à 1 pour cent - Rapport de l'OIT au Sommet des dirigeants du G20, Tableau 1.2, 2009.)

La réalité des marchés du travail des pays en développement est que des millions de personnes n’ont aucun autre choix que de pratiquer l’agriculture de subsistance, d’exercer des activités de survie à leur propre compte ou de se contenter d’un travail occasionnel imprévisible qui leur assure un salaire journalier. Néanmoins, selon les normes statistiques internationales, ces personnes sont considérées comme «occupées» tant qu’elles ont fait au moins une heure de travail rémunéré pendant la semaine de référence, qu’elles ont travaillé à leur compte dans une exploitation agricole ou une entreprise ou qu’elles ont effectué au moins 15 heures de travail familial non rémunéré dans la semaine. En fait, les pauvres des pays en développement ne pouvant pas se permettre de ne pas travailler, même si leur travail ne leur procure qu’un revenu de subsistance, l’emploi global suit plus ou moins la croissance démographique, indépendamment des fluctuations du cycle économique ou de la qualité des emplois, si bien que le nombre total de personnes ayant un emploi ne constitue pas non plus un critère adéquat pour procéder à une surveillance ciblée des progrès réalisés en matière de création d’emplois, de réduction de la pauvreté et de développement.

Quelles méthodes utiliser pour mesurer l’augmentation de la quantité de bons emplois, c’est-à-dire de ceux qui offrent de réelles possibilités d’échapper à la pauvreté et d’améliorer progressivement le niveau de vie sur de longues périodes? Des indicateurs qui mesurent plusieurs paramètres du volume et de la qualité de l’emploi seraient nécessaires pour que les particularités des marchés du travail des pays en développement soient prises en compte. En outre, il faudrait ventiler ces indicateurs pour vérifier que l’amélioration est équitablement répartie entre hommes et femmes et entre les générations. Ne retenir qu’un nombre restreint d’objectifs à la fois précis et universels, tout en choisissant des cibles et indicateurs qui soient pertinents et appropriés au niveau des pays, exigera une certaine dose de réalisme quant à la possibilité d’obtenir des données et de clarté conceptuelle sur ce qui peut être mesuré à l’aide d’indicateurs.

Cibles et indicateurs possibles

Si la communauté internationale accepte de placer l’emploi et les moyens de subsistance au cœur du programme de développement pour l’après-2015, en tant que composantes nécessaires du développement et de la lutte contre la pauvreté, l’autre question qui se pose est celle de savoir comment fixer des cibles et des indicateurs permettant de mesurer les progrès.

Comme indiqué ci-dessus, les évolutions de l’emploi, des structures économiques et des revenus des ménages revêtent plusieurs dimensions qui font partie d’un processus de développement inclusif. Certaines de ces dimensions peuvent être mises en évidence grâce à des indicateurs qui permettent d’évaluer le rythme et l’orientation de ces évolutions dans la durée. Nous proposons ci-dessous plusieurs de ces dimensions et indicateurs ainsi que des informations sur les données disponibles dans différents pays.

Cible possible: Amélioration des moyens de subsistance des travailleurs et des ménages les plus vulnérables

  • Indicateurs possibles: Taux de pauvreté des travailleurs
    Les travailleurs pauvres sont ceux qui ont un emploi mais qui vivent dans des ménages où la consommation par personne est inférieure à un seuil de pauvreté international de 1,25 ou de 2 dollars E.-U. (PPA) par jour. Les données nationales concernant les travailleurs pauvres sont établies par le BIT d’après des enquêtes sur les revenus et les dépenses des ménages portant sur plus de 70 pays. Elles peuvent être ventilées afin d’obtenir des profils plus précis des travailleurs pauvres. Les femmes et les jeunes, par exemple, tendent à être représentés de manière disproportionnée.
    (Plusieurs pays ont exprimé le souhait de participer plus activement, dans le cadre du débat sur l’après-2015, à la définition de seuils de pauvreté dans le cadre de la Commission de statistique de l’ONU et du Conseil économique et social des Nations Unies. Ils soulignent que les définitions dont les organisations internationales se servent dans les rapports sur les OMD présentent des lacunes. Cela pourrait amener à utiliser plus systématiquement des seuils de pauvreté nationaux qui tiennent compte des revenus et non pas simplement des dépenses, comme c’est actuellement le cas. Néanmoins, la question de la comparabilité restera posée.)

    Dans le cadre des OMD actuels, un sous-objectif ajouté en 2007 à l’objectif 1 relatif à la réduction de la pauvreté a pour indicateur la proportion de la population occupée vivant dans des ménages dont la consommation par personne est inférieure à 1,25 dollar E.-U. (PPA) par jour. C’est un indicateur utile qui pourrait être conservé. Toutefois, comme à ce niveau l’extrême pauvreté est réduite, il serait utile de mesurer également la réduction de la proportion de la population occupée qui vit dans une pauvreté modérée dans des ménages dont la consommation par personne est inférieure à 2 dollars E.-U. (PPA) par jour. On disposerait ainsi d’une évaluation dynamique aussi bien des ménages de travailleurs qui sortent de l’extrême pauvreté que de ceux qui sortent d’une pauvreté modérée. Pour mesurer aussi les progrès réalisés en matière d’emploi et de revenus, on pourrait ajouter un indicateur mesurant la proportion de travailleurs qui se trouvent au bord de la pauvreté ou qui appartiennent à la classe moyenne inférieure. Il existe différentes définitions des niveaux de revenus qu’il faudrait inclure dans cette catégorie pour les pays en développement, mais un certain consensus s’est dégagé sur une fourchette allant de 2 à 4 dollars E.-U. (PPA) par jour. Si les pays suivaient les mouvements des ménages à travers ces seuils, ils pourraient vérifier les progrès accomplis dans la lutte contre la pauvreté des travailleurs ou cibler les politiques sur les groupes ou les régions qui ne bénéficient pas de la croissance globale. Dans certains pays, il peut arriver que des groupes vulnérables, comme les travailleurs migrants ou les populations autochtones, nécessitent une attention particulière.

Cible possible: Augmentation de la proportion de «bons emplois»

  • Indicateurs possibles: Part de l’emploi salarié par secteur (agriculture, fabrication, services)
    Cette information est disponible pour la plupart des pays. Il s’agit d’une dimension importante parce que mieux vaut généralement occuper un emploi salarié que de travailler sans rémunération fixe (travail familial ou paiement en nature, par exemple) ou de vivoter en travaillant à son compte sur des marchés où la demande est limitée et incertaine. Cependant, il n’est pas possible dans tous les pays de faire la distinction entre l’emploi salarié régulier et le travail journalier occasionnel qui ne débouchera pas forcément sur un emploi stable.
    (Les travailleurs occasionnels comptent parmi les catégories de travailleurs les plus vulnérables. Ils sont en général très nombreux dans les zones rurales et représenteraient la majorité du quintile le plus pauvre de nombreux pays d’Asie et d’Afrique (Cf. Perspectives on Labour Economics for Development. On estime qu’en Afrique du Sud l’emploi salarié occasionnel constitue plus de la moitié de l’emploi total, tandis qu’au Botswana et à Maurice il concerne un peu moins de 20 pour cent des travailleurs. La proportion est plus faible là où les petites exploitations agricoles sont plus fréquentes (Cf. Towards Decent Work in Sub-Saharan Africa: Monitoring MDG Employment Indicators, Sparreboom, OIT, 2011).)
    Lorsque les enquêtes sur la population active et auprès des établissements le permettent, il est possible d’obtenir des estimations de l’emploi régulier à plein temps en recoupant les résultats de ces enquêtes avec d’autres sources. (Cf. How not to count the employed in developing countries, Majid, 2013)
  • Indicateurs agricoles
    Dans les pays où les groupes les plus pauvres travaillent dans ce secteur, il pourrait être indispensable d’introduire des cibles et des indicateurs pour l’agriculture. C’est le secteur où commence habituellement la transformation de la production et où l’amélioration du niveau de vie peut accélérer la réduction de la pauvreté. On pourrait prendre comme indicateurs la proportion de ménages qui pratiquent l’agriculture de subsistance, la production par travailleur pour déceler une éventuelle augmentation de la productivité de l’agriculture à petite échelle et, si les données existent, la part de l’emploi agricole dans l’emploi rural, dont la diminution pourrait indiquer qu’une diversification de l’économie rurale a eu lieu.
  • Part de l’emploi informel dans l’emploi total
    Il s’agit d’un nouvel indicateur que la communauté internationale a proposé récemment par l’intermédiaire du Groupe de Delhi sur les statistiques du secteur informel et que le BIT appuie. Cet indicateur, qui est désormais disponible pour plus de 70 pays, mesure le nombre total de personnes qui sont en situation d’emploi informel, c’est-à-dire les travailleurs dont la relation de travail n’est pas soumise au droit du travail ni à l’impôt sur le revenu, et ne donne lieu à aucune protection sociale ni à aucun avantage lié à l’emploi en droit ou dans la pratique. Il est important de souligner que les travailleurs qui occupent des emplois informels dans des entreprises formelles sont pris en compte. Les chiffres sont estimés à l’aide de microdonnées tirées d’enquêtes auprès des ménages et de comparaisons avec le nombre de personnes travaillant dans des établissements formels mais dont l’emploi n’est pas déclaré, les emplois occasionnels ou d’une durée limitée, les heures de travail ou les salaires inférieurs aux seuils spécifiés et les emplois qui échappent à la réglementation du travail. In Latin America, the number of informal employees in formal enterprises ranges from 4 per cent of total non-agricultural employment in Uruguay to 20 per cent in Ecuador (Cf. Labour Overview: Latin America and the Caribbean, ILO, 2011).
  • Taux de rémunération faible (inférieur aux deux tiers du salaire horaire médian)
    Cette valeur a trait au contexte national et fait référence à la proportion de la population dont le salaire horaire est inférieur aux deux tiers du salaire horaire médian du pays. Elle rend compte de l’évolution de l’inégalité salariale, que le BIT suit au moyen de sa base de données sur les salaires. A l’heure actuelle, on dispose d’informations sur une quarantaine de pays, mais il serait possible, au prix de quelques efforts, de produire des données pour de nombreux autres pays.

Cible possible: Accroissement de la participation des jeunes et des femmes à l’emploi Indicateurs possibles:

  • Ratio emploi/population par sexe et groupe d’âge (15-64 ans)
    Les différences qui caractérisent la participation des jeunes et des femmes en raison de facteurs économiques et sociaux expliquent les variations entre pays et régions n’ayant pas le même niveau de développement. A mesure que le produit intérieur brut (PIB) par habitant augmente, le ratio emploi/population prend la forme d’une courbe en U. Ce ratio est élevé dans les pays pauvres du fait que les femmes et les jeunes, y compris les enfants, sont occupés à des travaux agricoles. Il diminue à mesure que le revenu augmente (les jeunes sont scolarisés et certaines femmes arrêtent de travailler pour consacrer plus de temps à leurs responsabilités familiales). Il progresse de nouveau à mesure que les revenus augmentent, que davantage de possibilités d’emploi rémunéré s’offrent aux femmes et que des services de garde d’enfants et des techniques permettant d’alléger la charge de travail deviennent plus accessibles. Il existe un large éventail de données pour les indicateurs de participation des femmes et des jeunes. D’autres données pourraient être utilisées pour étudier l’évolution de l’inégalité entre les sexes (écart de rémunération, etc.).
  • Nombre de jeunes non scolarisés et sans emploi
    La pénurie d’emplois de qualité touche particulièrement les jeunes, qui sont surreprésentés parmi les travailleurs occasionnels vulnérables, les travailleurs découragés et les chômeurs. Dans les pays où les enquêtes auprès des ménages sont adéquates, le nombre de jeunes non scolarisés et sans emploi pourrait servir à suivre l’évolution de la situation des jeunes.

    On pourrait aussi utiliser d’autres indicateurs, comme la proportion de jeunes parmi les travailleurs pauvres ou, pour les pays à revenu intermédiaire, le taux de chômage des jeunes, en particulier s’il s’accompagne d’informations sur les jeunes découragés.

Cible possible: Couverture sociale et niveau des socles de protection sociale

L’accès à un ensemble de garanties minimales définies au niveau national en matière de sécurité du revenu et de soins de santé essentiels est un moyen efficace d’améliorer les moyens de subsistance des populations pauvres dans la plupart des pays en protégeant les ménages contre des risques économiques auxquels ils ne peuvent faire face. Un socle de protection sociale remplit plusieurs fonctions en matière de développement, notamment en faisant office d’ assurance-risque pour permettre aux ménages d’investir dans leurs compétences et leurs atouts afin de devenir plus productifs et d’éviter des réactions de détresse qui les conduiraient, par exemple, à liquider les biens dont ils disposent ou à retirer leurs enfants de l’école. Un socle de protection sociale de base est financièrement accessible dans la plupart des pays, mais les pays à faible revenu et les pays les moins avancés auront peut-être besoin d’aide pour mettre en place de tels systèmes et les développer progressivement. On pourrait mesurer concrètement les progrès réalisés en vue de la création, de l’extension et de l’amélioration des socles de protection sociale en examinant le degré de réalisation des différents éléments des mesures de base préconisées dans la recommandation (n° 202) de l’OIT sur les socles de protection sociale, 2012.

La sécurité des revenus des ménages pourrait être mesurée à l’aide d’une série ou d’une combinaison d’indicateurs portant sur des catégories précises de ménage (ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté ou une pauvreté modérée) et/ou différents groupes au sein du ménage, comme les personnes en âge de travailler, les enfants ou les personnes âgées.
  • Indicateurs possibles: Pourcentage de pauvres recevant des prestations en espèces ou d’autres soutiens périodiques du revenu
    Cette information est actuellement disponible pour les pays qui ont des systèmes de soutien du revenu relativement développés, comme les transferts monétaires conditionnels ou la garantie d’emploi. L’information se base sur un ensemble de données tirées d’enquêtes auprès des ménages et de dossiers administratifs. S’agissant d’un indicateur déterminant, plusieurs organisations internationales, dont l’OIT, sont en train de normaliser les définitions et de regrouper les données provenant de sources différentes afin d’offrir une couverture plus élargie.
  • Dépenses publiques de protection sociale pour des programmes ciblant la population en âge de travailler
    Cet indicateur permettrait d’évaluer la mesure dans laquelle le système public de protection sociale fournit un revenu de remplacement ou des prestations en nature à ceux qui sont dans l’incapacité de gagner un revenu suffisant, notamment en cas de maladie, de chômage, de sous-emploi, de maternité ou d’invalidité. Cet indicateur inclurait les dépenses relatives aux systèmes d’assurance-chômage ou à d’autres formes de protection contre le chômage.

    Il pourrait également inclure des programmes couverts par l’indicateur précédent dans les pays où l’assurance-chômage n’existerait pas ou serait peu développée. Tel serait, par exemple, le cas du programme de garantie de l’emploi rural en Inde qui garantit un nombre minimum de 100 jours d’emploi par an aux ménages ruraux. D’autres pays ont des programmes d’emploi publics qui peuvent être développés en réponse à une hausse du chômage ou à d’autres crises. Ces programmes peuvent être mesurés en pourcentage du PIB ou en pourcentage du montant total des dépenses publiques.

    La mesure de la couverture de ces programmes pourrait compléter celle des dépenses. On dispose de données sur le nombre de personnes qui perçoivent des prestations en espèces pendant les périodes de chômage périodiques, pour 71 des 80 pays, développés principalement, qui servent des prestations de chômage. Dans les pays en développement, on pourrait comptabiliser les ménages bénéficiant de grands programmes publics d’emploi ou d’autres formes d’aide au revenu.
  • Sécurité de revenu pour les personnes âgées par le biais de la protection sociale
    On pourrait ici calculer la proportion de personnes ayant dépassé l’âge légal de la retraite et recevant des prestations périodiques en espèces (pensions) qui leur garantissent une sécurité minimum du revenu par rapport au nombre total de personnes âgées. Le BIT collecte régulièrement des données pour plus de 170 pays. On pourrait aussi calculer ce que représentent les dépenses publiques de protection sociale consacrées aux programmes destinés aux personnes âgées en pourcentage du PIB. Ces données ont été compilées par le BIT pour 160 pays environ.
  • Sécurité du revenu pour les familles avec enfants
    On pourrait calculer les dépenses publiques de protection sociale consacrées aux programmes destinés aux enfants (ou aux familles avec enfants) en pourcentage du PIB ou du montant total des dépenses publiques. Des données ont été compilées par le BIT pour 130 pays environ.

    Pour ce qui est de la sécurité élémentaire des ménages ou de groupes de population en matière de santé, plusieurs indicateurs sont envisageables. Le BIT s’emploie à produire des estimations du pourcentage de la population couverte par l’assurance-maladie ou ayant accès gratuitement ou à faible coût aux services de santé publics. On pourrait associer à cela les données de l’Observatoire mondial de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les dépenses totales de santé qui ne sont pas financées par des paiements directs ou sur la densité de personnel médical qualifié, c’est-à-dire le niveau de ressources humaines disponibles dans le système de santé comme indicateur de l’ accessibilité des soins de santé.

Adaptation des objectifs et des cibles à la situation et aux priorités nationales

Les indicateurs proposés ici ont pour but de favoriser la discussion, en attirant l’attention sur des domaines dans lesquels l’intervention des pouvoirs publics peut avoir une incidence sur la qualité de l’emploi et des moyens de subsistance et dans lesquels il est possible de mesurer les progrès accomplis. Il ne s’agit pas d’une proposition précise et la liste n’est certainement pas exhaustive. Cependant, ces indicateurs montrent bien que, si les décideurs mondiaux décident de faire de la création d’emplois et de l’amélioration des moyens de subsistance un objectif central du cadre de développement pour l’après-2015, il existe beaucoup de données qui pourraient être utilisées pour élaborer des cibles et des indicateurs nationaux.

En dernière analyse, chaque pays définira ses propres cibles et sera le principal responsable de leur réalisation. Il faut que les pays disposent d’une marge de manœuvre suffisante pour pouvoir choisir les cibles et les indicateurs et les adapter en fonction de leur situation et de leurs priorités. L’éventail des indicateurs possibles doit être représentatif des caractéristiques nationales de l’emploi et des moyens d’existence, de la composition de l’emploi par secteur et en fonction de la situation sur le marché du travail, des inégalités d’accès des groupes vulnérables aux débouchés et de la viabilité environnementale des emplois. Néanmoins, l’adoption à l’échelle mondiale d’un programme destiné à améliorer la qualité et la quantité de l’emploi incitera tous les pays – et les donateurs – à consacrer leur attention et leurs ressources à cet aspect crucial du développement, qui n’a pas été suffisamment pris en compte dans le modèle précédent de développement ni dans les OMD.

On pourrait en outre envisager de s’entendre sur une manière commune de procéder, de sorte que les acteurs nationaux participent à la conception et à la mise en œuvre des mesures visant à créer des emplois et à améliorer les moyens de subsistance. On pourrait inclure dans le nouveau cadre de développement des propositions relatives aux paramètres, à la portée et à la qualité des consultations nécessaires à cet effet. La longue expérience de l’OIT et d’autres institutions démontre que le dialogue à propos des politiques concernant les questions sociales et du travail exige la participation de différents ministères et organes techniques du gouvernement et nécessite souvent un renforcement des capacités des acteurs concernés. L’aide internationale peut être mise à contribution pour faciliter l’interaction, notamment en renforçant les capacités des participants du secteur privé, des syndicats, de la société civile et des autres acteurs.

Faut-il établir les données de référence en fonction des niveaux de revenu?

Certes, c’est aux gouvernements qu’il appartient de fixer et de réaliser les objectifs en fonction des situations et des priorités nationales, mais l’on pourrait définir des paramètres sur la base desquels établir des évaluations comparatives convenables et des points de repère à l’intention des acteurs nationaux, des pairs et des donateurs. La comparabilité internationale d’une série d’indicateurs communs pourrait contribuer à structurer le dialogue national ou à surmonter l’inertie institutionnelle et les obstacles locaux.

Pour que les comparaisons soient valables, il serait peut-être utile de disposer de repères pour des groupes de pays classés selon leur niveau de revenu (par exemple: revenu faible, revenu intermédiaire (tranche inférieure), revenu intermédiaire (tranche supérieure) et revenu élevé). Il serait ainsi plus facile d’évaluer les progrès accomplis par trajectoire de développement en comparant les résultats observés et ceux obtenus dans le passé. Les indicateurs du marché du travail peuvent évoluer différemment lorsqu’un pays grimpe sur l’échelle des revenus: dans les économies en développement qui connaissent une croissance économique et une urbanisation très rapides, le chômage déclaré peut augmenter, alors que d’autres indicateurs témoignent d’une évolution positive de la quantité et de la qualité des emplois. Le fait est que le suivi des efforts et des progrès d’un pays par des acteurs nationaux ou autres reposerait sur des bases plus solides s’il prenait pour point de référence le niveau de développement.

L’amélioration des statistiques: Une priorité

La question de la qualité et de la disponibilité de l’information statistique revêt une grande importance dans le débat sur le cadre de développement pour l’après-2015 parce que la justification, la transparence et l’efficacité du processus d’ élaboration des politiques en dépendent. Renforcer la collecte et la disponibilité des statistiques pourrait en soi favoriser la création d’emplois et l’amélioration des moyens de subsistance. Perfectionner les enquêtes sur la population active ainsi que les enquêtes auprès des ménages et des entreprises pour obtenir davantage d’informations sur la stabilité et la qualité de l’emploi, par exemple, permettrait de développer des connaissances qui pourraient enrichir le processus d’ élaboration des politiques. Un investissement relativement modeste, coordonné à l’échelle internationale, dans la qualité et la quantité des statistiques du marché du travail pourrait être déterminant, surtout dans les régions où aucune collecte d’informations n’a lieu. Les indicateurs de progrès en matière de protection sociale devraient bénéficier d’une initiative récemment lancée par un groupe de partenaires du développement pour harmoniser les données internationales sur la protection sociale. Cette initiative est coordonnée par l’OIT et la Banque mondiale, et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Association internationale de la sécurité sociale, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et l’Overseas Development Institute (ODI) y sont associés.

La définition de cibles et d’objectifs ne doit pas être limitée par les indicateurs existants. La communauté internationale devrait encourager et aider les pays à poser des critères, définir les indicateurs et produire les statistiques nécessaires.

Conclusions

Le débat sur le cadre d’un programme de développement durable pour l’après-2015 n’en est qu’à ses débuts. Si l’on parvient à un consensus sur les objectifs mondiaux que la communauté internationale s’engage à réaliser avant une certaine date, 2030 par exemple, et, si l’on reprend la logique qui a présidé à la définition des objectifs du Millénaire pour le développement, il faudrait limiter le nombre de priorités à l’échelle mondiale pour que celles-ci soient bien circonscrites et aussi mesurables pour en garantir une mise en œuvre efficace et transparente.

L’autre enseignement précieux à tirer de la réalisation des OMD est qu’il est important de rattacher les objectifs, les cibles et les indicateurs fixés à l’échelle mondiale aux objectifs, cibles et indicateurs fixés à l’échelle nationale. L’action au niveau national demeure le mécanisme principal pour parvenir à un développement durable.

La présente note a pour but de stimuler la réflexion sur les indicateurs qui permettraient de suivre les progrès réalisés dans le domaine de l’emploi et de l’amélioration des conditions de vie à la faveur d’un processus de développement durable et participatif. Il en ressort que des données sont actuellement disponibles pour de nombreux indicateurs mais aussi que, dans bien des pays, celles qui portent sur la qualité des emplois, en particulier des nombreuses personnes qui se trouvent au bas de l’échelle, doivent être améliorées. Pour créer des emplois de qualité, il faut un secteur privé solide, un ensemble cohérent de politiques et un environnement international qui soit à la fois stable et favorable. Si l’on se contente de faire porter les efforts sur la croissance économique, l’on ne pourra pas compter sur la création d’un nombre suffisant d’emplois. Par conséquent, le programme international qui doit déboucher sur un cadre de développement pour l’après-2015 doit aider les pays à tirer les leçons de l’histoire et à apprendre les uns des autres afin d’élaborer un ensemble solide et cohérent de politiques qui mettront enfin le plein emploi productif et le travail décent à la portée de tous.

Références bibliographiques