Message conjoint

Bâtir une protection sociale universelle, c’est l’affaire de tous

Pour mieux reconstruire après la pandémie afin de pouvoir mieux résister aux périls à venir, nous avons besoin de solidarité au niveau international et d’une meilleure protection sociale universelle qui protège tout autant les personnes les plus pauvres et les plus marginalisées que celles qui, à l’heure actuelle, ont les moyens de la financer.

Editorial | 26 octobre 2020
Des centaines de résidents font la queue pour obtenir une aide sociale à Java occidental © Arya Dipa / Jakarta Post
Les gouvernements ont répondu à la pandémie de COVID-19 et à ses répercussions sur le plan social et économique par toute une série de mesures ponctuelles comme des allocations de chômage partiel, des versements en espèces et un soutien aux familles. Même si elles sont tout à fait louables, ces dispositions présentent deux inconvénients majeurs.

Premièrement, nombre d’entre elles constituent des solutions temporaires et à court terme qui ne s’appliquent que pendant les périodes de confinement ou pour un temps déterminé jusqu’à ce que l’économie redémarre. Ces mesures ne changent en rien les causes sous-jacentes qui ont placé des millions de personnes dans une situation de vulnérabilité et ne font rien pour les rendre mieux à même de faire face aux crises à venir.

Deuxièmement, ces mesures ne s’attaquent pas aux menaces existentielles qui pèsent sur de nombreuses personnes parmi les populations les plus touchées. Même si les dépenses des états au niveau mondial pour répondre au COVID-19 ont atteint plus de 11 000 milliards de dollars des Etats-Unis, elles proviennent essentiellement des pays riches. Par exemple, l’Union européenne a adopté récemment un plan de relance économique d’un montant de 750 milliards d’euros (878,78 milliards de dollars), ce qui équivaut à 6 pour cent de son Produit intérieur brut (PIB). Au Japon, le plan de relance économique représente 22 pour cent du PIB (soit 1 100 milliards de dollars). Par contre, dans les pays en développement à bas revenu, la réponse budgétaire tourne autour de 1,2 pour cent du PIB.

En effet, les pays en développement, tout particulièrement les pays à bas revenu, ne disposent que de moyens financiers limités, situation encore aggravée par la chute des prix de certaines matières premières destinées à l’exportation. Il ne leur est donc tout simplement pas possible de prendre les mesures conséquentes dont leur population a besoin pour répondre à la crise actuelle, et encore moins de disposer de systèmes de protection sociale à long terme qui permettraient de jeter les bases de véritables capacités de résilience.

Déjà avant le COVID-19, 69 pour cent de la population mondiale soit ne disposaient pas de couverture sociale ou n’étaient couvertes que partiellement. Environ deux-tiers des enfants dans le monde n’avaient pas de couverture sociale, 22 pour cent seulement des travailleurs au chômage touchaient des allocations liées à leur situation et 28 pour cent seulement des personnes vivant avec un handicap sévère recevaient une indemnité financière.

Une crise mondiale comme celle liée à cette pandémie ne connaît ni de frontières géographiques, ni de frontières politiques. Contre de tels phénomènes, notre force n’est égale qu’à celle des plus faibles d’entre nous. Si nous voulons accroître nos capacités de résistance et nous montrer plus efficaces pour sortir de ce genre de situations, nous devons absolument apporter notre soutien à l’ensemble des pays pour qu’ils puissent bâtir des socles robustes de protection sociale. Notre approche actuelle au coup par coup équivaut à recruter des pompiers après le début d’un incendie et, par la suite, de les envoyer directement sauver les gens qui se trouvent dans quelques-unes seulement des pièces de l’immeuble en flammes.

Il est évident que cela ne marche pas. Dans ces circonstances, la solidarité internationale s’avère cruciale, et cela dans l’intérêt de tous.

Les socles de protection sociale destinés à l’ensemble des populations ont un coût abordable. Cette année, pour l’ensemble des pays en développement, le fossé financier – c’est-à-dire la différence entre les investissements actuels de ces pays dans la protection sociale et ce que coûterait un socle complet de protection sociale (y compris en matière de santé) – est d’environ 1 191 milliards de dollars, en comptant l’impact du COVID-19. Cependant, pour les pays à bas revenu, le fossé n’est que de 78 milliards environ, ce qui constitue un montant négligeable si l’on compare au PIB des pays industrialisés. Et pourtant, le montant total de l’aide officielle au développement en matière de protection sociale ne représente que 0,0047 pour cent du revenu national brut des pays donateurs.

Le droit international relatif aux droits de l’homme reconnaît que les pays riches ont le devoir de contribuer à l’accomplissement des droits sociaux dans les pays aux revenus plus limités et un certain nombre de pas ont été accomplis afin de transformer cet engagement en aide concrète.

Ainsi, en 2011, un comité consultatif d’experts avait recommandé que les donateurs fournissent un financement stable sur plusieurs années afin de renforcer la protection sociale dans les pays en développement. En 2012, deux experts indépendants des droits de l’homme de l’ONU avaient proposé la création d’un Fonds mondial en faveur de la protection sociale afin d’aider les pays à bas revenu à créer des socles de protection sociale destinés à leur population. La même année, les mandants de l’OIT, c’est-à-dire les gouvernements, les travailleurs et les employeurs de 185 pays, avaient soutenu l’idée d’une protection sociale complète par un engagement adopté de manière unanime pour un «établissement et un maintien… de socles de protection sociale comme élément fondamental des systèmes nationaux de sécurité sociale».

Nous entendons régulièrement des engagements autour du fait que nous devons, et que nous allons, «mieux reconstruire» après la crise actuelle. Or, nous ne pouvons accomplir cette mission que si chacun dispose d’un niveau minimum de protection sociale, y compris les personnes les plus pauvres et les plus marginalisées.

Les différents pays doivent donc déployer les ressources financières maximales disponibles pour faire de la protection sociale une réalité pour toutes et pour tous. Cela peut nécessiter des stratégies plus efficaces en matière fiscale et de s’attaquer à la corruption. A long terme cependant, cette redistribution des ressources contribuera à réduire les inégalités et les discriminations et à tenir la promesse de «n’oublier personne» qui figure dans le Programme 2030 de développement durable.

Il reste que cette crise nous a appris plusieurs choses. L’une d’elles réside dans le fait que mieux reconstruire nécessite une solidarité internationale ainsi qu’une meilleure protection sociale universelle, et pas seulement pour ceux qui, d’ores et déjà, en ont les moyens. Si nous ignorons ce message, nous prenons le risque de condamner les générations futures à continuer d’endurer les immenses souffrances auxquelles nous sommes confrontés actuellement. Il s’agit là, assurément, d’une perspective intolérable.

Par Michelle Bachelet, Olivier De Schutter et Guy Ryder



Michelle Bachelet est Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme; Olivier De Schutter est rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme; Guy Ryder est Directeur général de l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Note: Cet article a auparavant été publié dans Le Monde, le Jakarta Post et le Nezavisimaya gazeta.