Par Éric Gravel, juriste principal, Département des normes internationales du travail

Eric Gravel

Les grandes organisations multilatérales comme l’OIT se voient parfois reprocher de s’en tenir à de simples déclarations de principe, sans aucun impact réel dans la pratique.

Effectivement, lorsque j’ai commencé à travailler au Département des normes de l’OIT il y a 24 ans, on m’a demandé d’analyser l‘impact du Comité de la liberté syndicale. Comme d’autres, je me demandais quelle était l’efficacité des mécanismes en place – connus sous le nom de «système de contrôle» de l’OIT – pour veiller à la mise en œuvre des conventions ratifiées.

En lisant des rapports vieux de plusieurs décennies, j’ai constaté que les recommandations du Comité de la liberté syndicale avaient conduit, dans certains pays, à la libération de centaines de travailleurs emprisonnés. Dans d’autres, des travailleurs avaient été réintégrés dans leurs postes. Ailleurs, des travailleurs avaient obtenu le droit de s’organiser en syndicats.

J’ai été surpris de constater que le système de contrôle avait un impact réel et des répercussions importantes sur la vie des gens.

L’un des organismes essentiels de ce système de contrôle est la Commission d’experts pour l’application des conventions et des recommandations (CEACR) – un organe indépendant composé de 20 juristes de haut niveau chargés d’examiner l’application des conventions et des recommandations par les Etats Membres de l’OIT.

Si, par exemple, un pays rencontre des difficultés pour appliquer les normes du travail, que ce soit pour le travail forcé, les droits des syndicats, ou la sécurité et la santé au travail, la CEACR attire l’attention du gouvernement concerné sur ces cas et lui fait des observations et des propositions de mesures correctives.

Il n’est parfois pas si facile de voir l’impact du travail de contrôle et de supervision de l’OIT. Le travail des enfants dans les champs de coton en est un exemple. Dans ce genre de cas, la commission d’experts attire l’attention sur les lacunes existantes. L’OIT peut ensuite apporter une assistance technique et entamer un dialogue constructif avec le gouvernement pour mettre fin au travail des enfants dans ce pays.

Parfois, c’est seulement beaucoup plus tard qu’on peut voir l’impact du travail de l’OIT, car les changements doivent d’abord se faire au niveau de la législation. Une île des caraïbes en est un bon exemple: son code du travail disait qu’il était légal de payer moins les travailleuses agricoles que les hommes qui faisaient le même travail. La commission d’experts a interpellé le gouvernement en question pour lui recommander de changer ce code.

Construire avec les gouvernements un dialogue constructif sur les questions sociales et sur le travail est au cœur du travail de l’OIT sur les normes. Les propositions d’aide au développement des capacités techniques des pays pour les aider à combler leurs lacunes dans l’application des normes se sont avérées très efficaces depuis longtemps. C’est en partie parce que la plupart des Etats Membres de l’OIT préfèrent être aidés plutôt que d’être nommément cités dans les discussions sur le non-respect des normes à la Conférence internationale du Travail.

Jeudi 28 novembre, le rôle et les réalisations des mécanismes de contrôle de l’OIT seront analysés lors d’un événement spécial du centenaire sur la CEACR, au cours duquel se tiendra une table-ronde entre les présidents anciens et actuels de la commission d’experts et le président et les vice-présidents de 2019 de la Commission de l’application des normes. Cette discussion soulignera certains des plus grands succès en matière de respect des normes internationales du travail, obtenus grâce aux travaux complémentaires de la commission d’experts et de la Commission de l’application des normes. Cette discussion abordera également les relations symbiotiques entre les divers organes de contrôle de l’OIT, qui témoignent du fait que les fonctions normatives qui sont au cœur de l’OIT ont un impact réel sur la vie des populations.