Le travail domestique, désormais plus qu'une question domestique

La ratification par les Philippines de la convention (n° 189) de l’OIT sur le travail décent pour les travailleurs domestiques, qui va permettre d’étendre les droits fondamentaux dans le domaine du travail à près de 100 millions de travailleurs domestiques dans le monde, constitue un tournant. Quelles seront les conséquences pour toutes ces personnes lorsque la convention entrera en vigueur?

Reportage | Philippines | 5 septembre 2012
Convention 189
Les travailleurs domestiques qui prennent soin des familles et des foyers doivent jouir des mêmes droits fondamentaux au travail que les autres travailleurs. Parmi ces droits figurent:
  • Une durée du travail raisonnable
  • Un repos hebdomadaire d’au moins 24 heures consécutives
  • Une limitation des paiements en nature
  • Une information claire sur les termes et conditions d’embauche
  • Le respect des principes et droits fondamentaux au travail, notamment de la liberté syndicale et du droit de négociation collective
DUMAGUETE, Philippines (OIT Info) – La ville de Dumaguete aux Philippines est une destination extrêmement prisée des plongeurs et des amoureux de la nature.


Pourtant, ce n’était pas un répit estival qui attendait Aileen Capacite Bulfa, fille d’un agriculteur pauvre, lorsqu’elle y est arrivée à l’âge de 13 ans pour devenir domestique.

Elle a bien tenté de suivre des cours au lycée, mais elle n’arrivait pas à faire ses devoirs de classe parce que la nuit ses employeurs éteignaient toutes les lumières.

«Je me réveillais régulièrement à 3 heures du matin», explique-t-elle. Elle s’occupait d’abord du linge. «Je prenais aussi soin de leur enfant, je l’amenais à l’école et je lui donnais le bain. Je faisais tout ce qu’ils me demandaient…», dit Bulfa. Sa journée de travail finissait à minuit.

Un an plus tard, elle était recrutée par un autre employeur. En plus des tâches domestiques, il la forçait à s’occuper des ordinateurs. Elle a très vite compris qu’elle était tombée entre les mains d’un trafiquant proposant du vidéosexe en ligne.

Lorsqu’elle a refusé de s’exécuter, la personne qui l’avait recrutée l’a menacée de mort. Finalement, c’est à une ONG locale qu’elle a dû son salut. Aujourd’hui, elle représente la SUMAPI, l’Association nationale des travailleurs domestiques aux Philippines.

La SUMAPI est désormais dirigée par de jeunes travailleuses et travailleurs domestiques et compte 80 000 membres à travers le pays. La SUMAPI, aux côtés d’autres syndicats nationaux et d’autres mouvements, est devenue un acteur majeur du plaidoyer en faveur de l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs domestiques au niveau national et pour aboutir à un nouveau texte de loi qui accorderait une meilleure protection à cette catégorie de travailleurs aux Philippines.

Un traité qui fera date

Bulfa est une travailleuse domestique parmi les millions de travailleurs domestiques dans le monde. Son pays, les Philippines, est le premier pays d’Asie à s’engager à respecter les droits des travailleurs domestiques, en ratifiant la convention (n° 189) de l’OIT.
Pour la première fois, nous introduisons le système normatif de l’OIT dans l’économie informelle."


Les Philippines sont de grands pourvoyeurs de main-d’œuvre migrante. Plus de 150 000 travailleurs domestiques, principalement des femmes, partent chaque année dans d’autres régions d’Asie, en Europe et au Moyen-Orient en quête d’un meilleur salaire qui leur permettra de sortir leur famille de la pauvreté.

La plupart du temps, ces travailleurs sont payés au-dessous du salaire minimum et bénéficient rarement de l’assurance-maladie, des congés payés ou même de temps libre. Prendre une journée de congé pour raisons médicales signifie pour beaucoup perdre son emploi. Et, bien sûr, pas de prestation de chômage pour ceux qui perdent leur emploi.

Dans le monde, des travailleurs domestiques sont maltraités physiquement, abusés sexuellement, séquestrés, pratiquement réduits en esclavage et même assassinés.

La Convention no 189 a pour objectif de protéger ces personnes en établissant une protection globale minimale.

Grâce à ce texte, le travail domestique est reconnu internationalement comme un véritable travail. Les travailleuses et les travailleurs domestiques bénéficient donc d’une protection juridique identique à celle des autres travailleurs.

La nouvelle norme prescrit le droit des travailleurs domestiques à la sécurité sociale et à un salaire minimum (si un tel salaire est prévu dans l’économie formelle), à des conditions d’emploi équitables, tout comme à une protection effective contre toutes les formes d’abus, de harcèlement et de violence.

«Pour la première fois, nous introduisons le système normatif de l’OIT dans l’économie informelle. C’est une percée significative, mais le travail domestique n’est pas encore un travail décent. Pour que cette nouvelle protection soit efficace, il faut intervenir aux différents niveaux de la gouvernance à l’intérieur comme à l’extérieur des pays», selon Manuela Tomei, Directrice du Département de la protection du travail de l’OIT.

Vérifier le respect de la loi est fondamental

Selon Mme Tomei, le foyer n’est pas un lieu de travail classique et les législations nationales tendent à défendre l’inviolabilité de la vie privée. Elle explique qu’«il est donc plus difficile de vérifier le respect de la loi au sein des foyers que dans une usine ou tout autre lieu de travail plus classique. Cela requiert une grande faculté à innover et beaucoup de créativité».

Mais un vent de réforme souffle déjà dans plusieurs pays, y compris au Chili dont le Congrès a été saisi d’un projet de loi sur les travailleurs domestiques. De son côté, l’Etat de New York aux Etats-Unis est devenu le premier Etat de l’histoire des Etats-Unis à voter une loi dans ce sens en 2010.

Les Philippines s’apprêtent à promulguer une nouvelle loi garantissant une protection minimale aux travailleurs domestiques philippins à partir des dispositions de la convention no 89.

«C’est un progrès que nous devons utiliser, notamment pour sensibiliser les travailleuses et travailleurs domestiques, leurs employeurs et les gouvernements», déclare Mme Tomei.

Pour Bulfa, la convention n° 189 offre aux travailleurs domestiques une chance d’améliorer leurs conditions de travail et de vie. «J’espère qu’il n’y aura plus d’abus vis-à-vis des travailleurs domestiques. J’espère que les employeurs leur permettront de se reposer, parce que même les domestiques sont des êtres humains dotés de droits.»